Pascale Braconnot, Pierre Friedlingstein, Jean-Louis
Dufresne
Pascale Braconnot est chercheur CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement et est responsable du pôle de modélisation de l'Institut Pierre Simon Laplace (Paris). Elle coordonne le projet anthropocène du LSCE destiné à étudier l'impact de la perturbation anthropique sur le climat à l'aide de simulations utilisant une modèle tri-dimensionnel du système Terre. Ses thèmes de recherche concernent le couplage océan-atmosphère et son rôle dans les changements de climat futurs ou passés.
Pierre Friedlingstein est Chargé de Recherche CNRS au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement. Ses activités de recherche sont centrées sur le cycle du carbone continental et sur le couplage entre le système climatique et les cycles biogéochimiques.
Jean Louis Dufresne est Chargé de Recherche CNRS au Laboratoire de Météorologie Dynamique. C'est un spécialiste du couplage de modèles et des processus radiatifs dans l'atmosphère. Il est fortement impliqué dans les simulations du climat futur faisant intervenir le climat et ses interactions avec les cycles bio-géochimiques.
Depuis plus d'un siècle, la concentration en CO2 atmosphérique mesurée a augmenté de 25 %, passant de 280 ppm en 1860 à 360 ppm de nos jours. Cette augmentation serait environ deux fois plus forte si tout le CO2 émis par les activités humaines restait dans l'atmosphère ; environ la moitié de ce CO2 émis est captée par la biosphère et par l'océan. Les décisions prises en matière d’énergie aujourd’hui conditionneront le climat des générations futures. Comment ne pas être inquiet pour l’avenir de la planète face au réchauffement annoncé ?
Nous faisons ci-dessous un rapide état des connaissances et illustrons les sources d’incertitudes liées au couplage entre le climat et le cycle du carbone*. Réduire les incertitudes, comprendre le fonctionnement de la machine climatique, déterminer les non-linéarités du climat, évaluer les risques de rupture et informer des risques encourus est au cœur du débat de la communauté scientifique.
Le climat de la Terre est le résultat d’interactions complexes entre de nombreux processus faisant intervenir l’atmosphère, l’océan et les surfaces continentales. Etudier le climat demande donc de prendre en compte la dynamique des fluides océan et atmosphère, les processus physico-chimiques et les interactions complexes avec la biosphère et la cryosphère terrestre ou marine. Chaque composante du système climatique (atmosphère, océan, biosphère et cryosphère) a ses constantes de temps propres. L’atmosphère varie le plus rapidement et a peu de mémoire. L’océan profond au contraire peut emprisonner des perturbations pour des centaines d’années.
Pour mieux apprécier les perturbations de l’équilibre énergétique de la Terre attribuables aux activités humaines, il est intéressant de revenir sur l’histoire de notre planète. Nous disposons en particulier de données précises sur les équilibres climatiques pour la période des 400 000 dernières années. Les archives que constituent les glaces polaires peuvent aujourd’hui restituer les variations de température et de concentrations des constituants minoritaires de l'atmosphère au cours des dernières centaines de milliers d’années. En effet, les petites bulles d'air emprisonnées lors du mécanisme de cristallisation qui donne naissance à la glace portent le témoignage de la composition de l'atmosphère à l’époque de leur formation.
L’analyse de ces données du passé nous montre que les climats de la Terre répondent aux variations de l'énergie qui parvient à sa surface en provenance du Soleil. Celle-ci subit des oscillations liées aux paramètres astronomiques de l’orbite et de la position de la Terre dans sa course autour du soleil. Elles sont caractérisées par des périodes récurrentes proches de 20 000, 40 000 et 100 000 ans et se traduisent par l’alternance de périodes jusqu’à 5 à 6°C plus froides, les âges glaciaires, et d’optima climatiques. Le dosage du gaz carbonique et du méthane contenus dans les archives glaciaires indique que les teneurs de ces gaz dans l’atmosphère varient également en fonction des oscillations climatiques (Figure 1). Ces valeurs sont plus faibles pendant les périodes glaciaires (200 ppm pour le gaz carbonique et de 0.4 ppm pour le méthane). On constate également que jamais au cours des 400 000 dernières années la teneur en gaz carbonique n'a dépassé 300 ppm, et celle en méthane 0.8 ppm.
Or, depuis un peu plus de deux siècles, la concentration des gaz
à effet de serre, autres que la vapeur d’eau, augmente rapidement dans
l’atmosphère en réponse aux activités humaines. La teneur en dioxyde de
carbone, aujourd'hui de 365 ppm, a augmenté de 30% et ce, pour les trois
quarts, à cause de l’utilisation des combustibles fossiles. Celle du méthane a
plus que doublé au cours des 300 dernières années pou atteindre près de 1.8 ppm
essentiellement à cause de l’intensification de l’agriculture qui, à travers
l’utilisation des engrais azotés, est aussi partiellement responsable de
l’augmentation de près de 20% de l'oxyde nitreux (0.31 ppm). L’évolution de la
teneur en gaz carbonique au cours des 30
000 dernières années illustre parfaitement l'ampleur et surtout la rapidité de
cette perturbation. Alors que le passage de la teneur de 200 ppm, observée
pendant la dernière ère glaciaire à la valeur interglaciaire de 280 ppm s’est
fait en quelques milliers d’années, la perturbation due aux activités humaines
depuis le début du 19ème
siècle, qui est du même ordre de grandeur, s’est produite en moins de 200 ans.
Il s'agit donc d'une variation extrêmement rapide à l’échelle des évolutions
naturelles (Figure 1) qui confirme que les activités humaines modifient
fortement les teneurs en gaz carbonique et autres gaz à effet de serre dans
l'atmosphère.
Dans une large majorité, la communauté scientifique est
convaincue du risque climatique associé à cette évolution de la composition de
l’atmosphère et de la nécessité d’en analyser toutes les facettes. Dès le 19ème siècle, le
suédois Svante Arrhénius, à partir d’un calcul relativement simple, estime que
notre planète devrait se réchauffer de 5°C d’ici la fin du 20ème siècle...
Mais ce n’est qu’à partir des années 1970 que ce problème de l’action
potentielle des activités humaines a pris toute son
ampleur. Grâce à de nombreuses initiatives internationales, la compréhension
des mécanismes complexes qui gouvernent l’évolution du climat a largement
progressé au cours des vingt dernières années. La synthèse des connaissances
accumulée se trouve dans les rapports successifs du Groupement
Intergouvernemental sur l’Etude du Changement Climatique (GIEC) qui nous est
plus familier sous son sigle anglais d’IPCC (International Panel on Climate
Change).
Un consensus s’est affirmé au fil des 3 rapports du GIEC (1990, 1996, 2001). Comme nous l’avons déjà discuté, les données permettent d’affirmer que les activités humaines modifient la composition de l’atmosphère en gaz à effet de serre. Une autre conclusion concerne le réchauffement observé au cours du 20ème siècle (Figure 2). L’enregistrement disponible jusqu’à l’année 2001 en donne désormais une idée plus claire que lors du rapport de 1990. Ce réchauffement s’est accéléré au cours des années récentes. L’année 1998 a été la plus chaude depuis 1880. Les 10 années les plus chaudes sont concentrées au cours des deux dernières décennies. C’est ce graphique pris dans son ensemble qui permet aux experts de conclure que notre climat s’est réchauffé d’un peu plus d’un demi-degré (0,6 avec une incertitude de ± 0, 2 °C) depuis la fin du 19ème siècle. Ce réchauffement s'est opéré en deux étapes la première entre 1910 et 1945, la seconde depuis 1976.
De nombreuses observations témoignent aussi de façon indirecte de ce réchauffement : l’étendue des glaciers alpins diminue de façon quasi générale (les exceptions s’expliquent soit par la modification de la circulation atmosphérique, soit par l’augmentation des précipitations) ; la couverture neigeuse et l’épaisseur de la glace de mer décroissent dans beaucoup de régions ; lacs et rivières sont moins longtemps gelés ; l’océan se réchauffe en surface ; le niveau de la mer a augmenté d’une dizaine de centimètres au cours du 20ème siècle ; il y a plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère..... Malgré quelques zones d’ombre, le consensus est général : le climat se réchauffe.
Les modèles climatiques, qui ont fait beaucoup de progrès,
confirment ce diagnostic. Des simulations longues montrent que le réchauffement
des 100 dernières années ne peut vraisemblablement pas être dû uniquement à des
causes naturelles. En particulier, le réchauffement marqué des 50 dernières
années ne peut-être expliqué que si l’on tient compte de l’augmentation de
l’effet de serre. D’où cette conclusion « il y a de nouvelles et fortes
indications qu’une grande part du réchauffement observé au cours des 50
dernières années est attribuable aux activités humaines ». De « peut-être »
en 1995, nous voici à « probablement » en 2001.
Le réchauffement amorcé va-t-il continuer sa course ? Que peut-on dire pour l’avenir ? Sans vouloir négliger l’importance des autres gaz à effet de serre, nous centrerons la discussion sur le gaz carbonique non seulement parce que sa contribution à l’effet de serre additionnel est de loin la plus importante (60%) mais aussi à cause de son temps de résidence très long dans l’atmosphère.
Le carbone est contenu dans chacun des compartiments de l'environnement terrestre : atmosphère, océan, biosphère, Terre interne. Dans l'atmosphère, on le trouve essentiellement sous forme de gaz carbonique. Sur les continents, on le trouve en profondeur dans les combustibles fossiles, et en surface dans la végétation et la matière organique des sols. Dans les océans, il est principalement sous forme de carbonates, en particulier dans le principal réservoir de carbone que constitue l’océan profond. Tous ces compartiments sont en équilibre entre eux grâce à des flux d'échanges permanents, comme par exemple la respiration et la photosynthèse entre l'atmosphère et la biosphère, les échanges gazeux entre l’atmosphère et les océans, ou l’assimilation du carbone par les microorganismes dans l’océan.
Aujourd’hui l’homme induit un déséquilibre par les sources d’émission additionnelles qu’il contribue à créer. Cette perturbation due aux activités humaines correspond à l’émission annuelle de 7 milliards de tonnes (GtC) de carbone vers l’atmosphère. Bien qu’elle reste relativement faible en termes de flux d’échange, comparé aux flux d'échange naturels qui se chiffrent à l’équilibre en dizaine de milliards de tonnes, cette amplitude est suffisante pour modifier les concentrations atmosphériques. Surtout, la rapidité de son évolution la rend inquiétante.
Pour ce qui concerne les émissions futures nous nous tournons vers les économistes auxquels le GIEC a demandé de proposer différents scénarios prenant en compte celles de l’ensemble des gaz à effet de serre mais également des composés soufrés dont l’effet radiatif est négatif. Ces scénarios, au nombre de 40, sont établis en tenant compte de différentes possibilités vis à vis des développements démographiques et économiques futurs et des avancées technologiques qui peuvent raisonnablement être attendues. Le scénario auquel sont associées les émissions les plus élevées allie un développement économique rapide et une utilisation privilégiée des combustibles fossiles, tandis que les émissions les plus faibles correspondent à une économie de services et d’information avec une recherche optimale de techniques propres et d’efficacité énergétique
Dans le scénario maximum (Figure 3), les émissions annuelles de gaz carbonique (un peu moins de 30 GtC) vont à la fin du siècle vers un quadruplement de leur valeur actuelle (7 GtC) tandis que dans le scénario minimum, elles croissent légèrement puis reviennent à un niveau de 5 GtC. Les émissions des autres gaz, méthane et oxyde nitreux, sont également plus importantes dans le scénario maximum tandis que celles des composés soufrés diminuent dans presque tous les scénarios du fait des efforts importants entrepris depuis plusieurs années pour diminuer les causes de cette pollution.
L’étape suivante consiste à passer des émissions aux concentrations dans l’atmosphère à partir de modèles bio géochimiques. En général, ces modèles sont de modèles simplifiés, qui, en fonction d’un scénario d’émission, calculent les flux de carbone en faisant l’hypothèse que le cycle du carbone ne dépend pas du climat. Aujourd'hui, l'accroissement du CO2 atmosphérique favorise la fixation du carbone par les plantes et l'océan (effet de fertilisation biosphérique et augmentation de l'échange par diffusion entre l’air et la mer). Ce carbone fixé étant relâché dans l'atmosphère avec un certain délai (nous nous intéressons ici aux périodes allant de l'année à quelques siècles), l'accroissement rapide de CO2 entretient une augmentation du flux net de carbone stocké par la biosphère et l'océan. Les puits de carbone biosphérique et océanique ont ainsi tendance à croître, ce qui explique que seule environ la moitié du CO2, relâché actuellement par l'homme dans l'atmosphère, y reste. Le scénario maximum nous entraînerait d’ici la fin du siècle vers des concentrations proches de 1000 ppm pour le gaz carbonique (triplement) 3 ppm pour le méthane (doublement) et 0,45 ppm pour l’oxyde nitreux (+50%).
Ces gaz ont la particularité d’absorber une partie du rayonnement qui est émis par la surface de la Terre dans le domaine des longueurs d’onde infrarouges et le renvoient partiellement vers cette même surface. Ils contribuent ainsi à apporter un surplus d’énergie thermique qui permet de maintenir la température moyenne de la planète à la valeur de 15°C que nous connaissons aujourd’hui. Si cet effet de serre naturel n’existait pas, la température de la Terre serait de –18°C et l’eau liquide n’aurait pas pu se maintenir à sa surface. Sur Terre, cet effet de serre est dû pour les 2/3 à la vapeur d’eau et pour 1/3 au dioxyde de carbone. La perturbation induite en 2100 par l’augmentation des gaz à effet de serre (hors vapeur d'eau) se traduit ainsi par une augmentation de 8W/m-2 de l’effet de serre pour le scénario le plus pessimiste et 3 Wm-2 pour le scénario minimum. Dans tous les cas, le climat en subira des conséquences qu’il faut déterminer le plus vite possible. A cet effet de serre direct s’ajoute la modification de l’effet de serre dû à la modification de cycle de l’eau et de la quantité de vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère.
Alors que l’étude des climats actuels et passés combine observations et simulations numériques, la prédiction de son évolution future ne peut faire appel qu’à la modélisation. Pour étudier les modifications du climat induites par les activités humaines, la façon de procéder consiste tout d’abord à réaliser une simulation représentative d’un climat non perturbé par l’homme. Ensuite une simulation du climat perturbé est réalisée en modifiant par exemple la concentration en CO2 dans l’atmosphère au cours de la simulation, en suivant un scénario proposé par les économistes. Prenant en compte les différents scénarios évoqués ci-dessus, les modèles climatiques fixent une fourchette d’augmentation moyenne de la température à l’horizon 2100 comprise entre 1,4°C et 5,8°C (Figure 5). Ainsi le 21ème siècle sera certainement un siècle de rupture, caractérisé par une transition extrêmement rapide et une amplification importante du réchauffement moyen comparé à celui observé au 20ème siècle. L’amplitude de la fourchette tient à deux causes principales, dont chacune représente à peu près la moitié de l’incertitude. La première est bien évidemment notre connaissance imparfaite du système et l’imprécision relative des modèles déjà mise en évidence. La seconde est liée à la difficulté de prévoir nos comportements en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Ce réchauffement sera accompagné d’une augmentation du niveau de la mer, largement liée à la dilatation de l’océan et dont l’estimation est comprise entre 9 et 88 cm.
Des études récentes ont montré que le changement climatique résultant de l'accroissement du CO2 pourrait réduire de façon significative l’efficacité des puits de CO2, ce qui pourrait introduire un effet amplificateur (c’est à dire une rétroaction positive) entre le climat et le cycle du carbone, effet généralement négligé dans les différentes études.
L’étude du couplage Climat-Carbone à l'échelle globale a fait l’objet d’un travail original à l'aide du modèle couplé atmosphère-océan IPSL-CM2 développé à l'Institut Pierre Simon Laplace (Paris). Ce modèle tridimensionnel est composé d’un modèle de circulation générale atmosphérique (modèle équivalent aux modèles utilisés pour la prévision du temps), d’un modèle de circulation générale océanique, d’un modèle de glace de mer et d’un modèle permettant de calculer les échanges de chaleur et d’eau entre l’atmosphère et les surface continentales. Les modèles d’atmosphère et d’océan échangent les flux de chaleur et de quantité de mouvement et d’eau une fois par jour simulé. Ce type de modèle est gourmant en temps de calcul, ce qui explique que ce n’est que grâce à des ordinateurs de plus en plus puissant que la complexité du système climatique se dévoilera petit à petit.
A ce modèle couplé a été adjoint des modèles du cycle de carbone
océanique et biosphérique. Ces modèles calculent les flux de carbone en surface
à partir de valeurs moyennes mensuelles de variables climatiques comme le flux
solaire, la température et la précipitation pour la biosphère, les flux de
surface, les champs tridimensionnels de température, salinité, vitesse et
diffusion verticale pour le modèle de biogéochimie océanique. La concentration
de l'atmosphère en CO2 est uniforme sur le globe. Elle est remise à
jour au cours de la simulation une fois par an en fonction du bilan entre les
sources anthropiques éventuelles et les puits biosphériques et océaniques.
La concentration en CO2 pour l'année t+1 est calculée par :
CO2 t+1 = CO2 t + (ANT t – BIO t – OCN t )/2.12
où ANT t représente le flux annuel de CO2 d'origine anthropique (lié à la combustion d'énergie fossile et à la déforestation), BIO t et OCN t sont respectivement les flux nets annuels échangés entre l'atmosphère et la biosphère et entre l'atmosphère et l'océan. Au début de la simulation la concentration de CO2 est la valeur préindustrielle de 1860 ( 286 ppm). Le facteur 2.12 permet de convertir le flux de carbone (en GtC) en concentration de CO2 dans l'atmosphère (en ppm).
Une simulation de contrôle, sans émission anthropique de CO2, nous a permis de vérifier la stabilité du modèle, l'absence de dérive aussi bien du climat que du CO2 pendant les 200 années de simulation. En parallèle, une simulation de l'évolution du climat et du CO2 atmosphérique de 1860 à 2100 nous a permis de confronter nos résultats aux observations pour la période historique (1860-2000) et de simuler l'évolution future du climat et du cycle du carbone au XXIème siècle (Figure 4). Pour cette simulation, les émissions de CO2 utilisées sont issues des observations pour la période historique et du scénario SRES-A2 proposé par le GIEC pour le XXIème siècle.
La simulation reproduit très correctement l'évolution observée de la température moyenne du globe et de la concentration de l'atmosphère en CO2. Par rapport à la simulation du climat préindustriel, les continents de l’hémisphère Nord marquent un réchauffement important. Aux hautes latitudes, la couverture de neige a diminué. Le sol nu réfléchi moins le rayonnement solaire incident que la neige, ce qui favorise le chauffage de la surface continentale. L’océan, en raison de sa plus grande capacité calorifique que le sol, subit un réchauffement moindre. Le réchauffement n’a pas atteint l’océan profond. La stabilité verticale de l’océan est augmentée, ce qui réduit les échanges verticaux, et modifie le rôle climatique de l'océan. L’effet de serre a pour effet de réchauffer la basse atmosphère, mais de refroidir la haute atmosphère (au delà de 15 km). Le devenir du cycle de l’eau associé à un tel réchauffement climatique est encore mal connu. Le cycle hydrologique fait intervenir des processus de petite échelle qui sont difficiles à représenter dans les modèles et la palette des résultats de différents modèles est bien plus large que celle obtenue pour le changement de température.
Pour estimer l'effet du couplage entre le climat et le cycle du carbone, nous avons réalisé une simulation avec émissions anthropiques de CO2 dans laquelle on a imposé aux modèles de carbone un climat non perturbé par les émissions anthropiques de CO2 (dans la pratique on prend le climat de la simulation de contrôle évoquée précédemment). Les résultats de ces simulations sont portés sur la figure 4. Dans le cas “climat constant”, le taux de CO2 atmosphérique est plus faible que dans le cas couplé, c’est-à-dire que les puits naturels sont plus élevés. A l'horizon 2050, le puits océanique est peu modifié (Figure 4) alors que le puits biosphérique est nettement plus important (Figure 4). Lorsque l'on ne tient pas compte du changement climatique du à l'accroissement de CO2, le puits biosphérique augmente dans toutes les régions couvertes de végétation, sans exception (Figure 4) : c'est l'effet de fertilisation du CO2. La prise en compte du changement climatique réduit le puits biosphérique principalement dans les régions équatoriales et tropicales d'Afrique et d'Amérique, alors qu'il a plutôt tendance à augmenter dans les hautes latitudes (Figure 2c). Dans les basses latitudes, la croissance des plantes est principalement limitée par la disponibilité en eau. La réduction du puits biosphérique dans ces régions provient principalement d'une contrainte hydrique plus forte due à une augmentation de l'évaporation. Aux hautes latitudes la croissance des plantes est principalement limitée par la température; son augmentation leur permet au contraire un meilleur développement.
Dans les régions tropicales, l'effet climatique dû à l'accroissement de CO2 peut réduire très fortement les puits biosphériques et annuler, voire dépasser, l'effet de fertilisation des plantes dû à l'augmentation du CO2 atmosphérique. Ceci explique pourquoi, dans la simulation scénario couplée Climat-Carbone, le puits biosphérique soit augmente peu, soit diminue dans certaines régions d'Afrique et d'Amérique équatoriale (Figure 2, pages couleur) Cela explique également la saturation du puits biosphérique à partir des années 2040-2050 : l'effet climatique néfaste aux écosystèmes tropicaux est tellement large qu'il compense globalement l'augmentation du puits liée à l'augmentation du CO2 atmosphérique.
En ce qui concerne l'absence de changement notable du puits de carbone océanique, nous avons pu mettre en évidence que c'est le résultat de deux perturbations qui se compensent. Le changement climatique diminue sensiblement le puits océanique, pour un taux de CO2 atmosphérique donné. Mais le puits biosphérique se réduit assez fortement du fait du changement climatique, entraînant une augmentation du CO2 atmosphérique. Cette augmentation accroît les flux de CO2 de l'atmosphère vers l'océan, et donc accroît le puits océanique. Et il se trouve qu'à l'horizon 2050, ces deux effets se compensent presque totalement. Mais l'océan sommeille pour probablement mieux se réveiller ensuite sur des constantes de temps plus longues, comme le suggèrent un autre jeu de simulations réalisées avec 4 fois la valeur préindustrielle de CO2.
Pour étudier l'évolution future du climat sous l'effet des émissions anthropiques des gaz à effet de serre, la démarche usuelle, telle celle utilisée par le GIEC/IPCC, néglige la dépendance des puits de CO2, et donc du CO2 atmosphérique, vis-à-vis du climat. Cette démarche permet d’étudier de nombreux aspects du changement climatique et de dresser un certain nombre de barres d’erreur, entre autres celles liées à des aspects de modélisation. Néanmoins, le couplage entre le climat et le cycle du carbone montre qu’à l'horizon 2100, le CO2 atmosphérique sera environ 20% plus élevé si l'on tient compte de ce couplage que si l'on n’en tient pas compte. Cet accroissement supplémentaire de CO2 induit un accroissement du changement climatique également d'environ 20%. L’impact du changement climatique sur le cycle du carbone n'est pas du tout uniformément réparti sur le globe. Si les régions des hautes latitudes voient leur puits de carbone s’accroître, celui-ci diminue dans toutes les régions équatoriales et tropicales.
Si de nombreuses incertitudes demeurent, il est toutefois clair que, dès à présent, on ne peut négliger l'impact que le changement climatique aura sur l'évolution à long terme des puits naturels de carbone. C’est à partir de ce type de simulations, en combinant des approches variées faisant intervenir les simulations du climat actuel, du climat futur et des climats passés que petit à petit les rouages des multiples mécanismes intervenant dans la machine climatique se dégagent. La modélisation du climat est actuellement un domaine en pleine expansion. Nous cherchons à ne plus simplement étudier l’impact des modifications des cycles bio-géochimiques sur le climat, mais aussi l’impact du climat sur ces cycles, ce qui va très certainement dans les prochaines années modifier notre façon de considérer le monde.
Les résultats obtenus par différents modèles de climat pour différents scénarios proposés par le GIEC suggèrent aussi qu’il faille s’interroger sur l’avenir du climat au-delà de 2100. En effet, c’est dans le long terme que les différences entre deux scénarios se font le plus sentir, certains scénarios pouvant conduire à des ruptures importantes comme la fonte massive des calottes de glace ou une forte diminution de l’apport en chaleur entre l’équateur et le pôle de la circulation océanique. Ces ruptures proviennent des nombreuses non-linéarités du système qui ne permettent pas d’extrapoler linéairement l’évolution du climat à partir des mesures effectuées au cours du dernier siècle. Des études sont également en cours au niveau européen entre laboratoire de recherche et agence pour l’énergie atomique pour déterminer les risques climatiques extrêmes pouvant survenir dans le futur afin de déterminer les régions fiables pour le stockage des déchets radioactifs. La seule façon que nous ayons aujourd'hui de diminuer les effets de la perturbation anthropique est d’en limiter l’amplitude. Il nous faut donc réfléchir à une maîtrise raisonnée des émissions de gaz à effet de serre, ce qui renvoie immédiatement au problème des sources d’énergie et du développement durable.
Figure 1 : Variations des concentrations du gaz carbonique (courbe du haut) et du méthane (courbe du bas) au cours des 420000 dernières années. Ces deux courbes combinent les mesures effectuées au LGGE Grenoble sur les bulles extraites de la glace du forage antarctique de Vostok, les mesures réalisées sur d'autres forages et des prélèvements atmosphériques (pour les dernières décennies). La courbe du milieu correspond aux variations de la température en Antarctique estimée à partir de l'analyse de la teneur en deutérium de la glace (LSCE Saclay). Figure adaptée de Petit et al. (Nature, 1999) et, pour la partie récente, des rapports IPCC (1995 et 2001).
Figure 2 : Variations de la température moyenne de la planète depuis 1861 (adapté du rapport IPCC 2001)
Figure 3 : Emissions de gaz carbonique, méthane, oxyde nitreux et dioxyde de soufre pour six des scénarios récemment proposés par le GIEC pour la période 1990 - 2100. Sont également indiquées sur cette figure les émissions correspondant au scénario IS92a largement utilisé depuis sa publication en 1992 (adaptée du rapport IPCC 2001)
Figure 4: Résultats de la simulation couplée climat-carbone de l'IPSL. Les courbes montrent la simulation de l'évolution de la concentration atmosphérique de gaz carbonique dans le cas où les rétroactions entre le cycle du carbone sont considérées (courbe rouge) par rapport au cas où elles sont négligées (courbe verte). La carte du haut représente le changement de température simulé en 2100 par rapport à l'époque préindustrielle et la carte du bas, l'impact du changement climatique sur les puits de carbone continental pour la même période (se référer au texte pour les explications).
* Les éléments rapportés dans cet article représentent principalement une compilation des lettres 11 et 14 du Programme International Géosphère Biosphère-Programme Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC, http://www.cnrs.fr/dossiers/dosclim/biblio/pigbsom.htm). Nous invitons le lecteur désireux d'en savoir plus à consulter ces documents.