Subsections
La démarche expérimentale commence de manière classique avec un constat,
une question et une hypothèse.
- Constat: On observe qu'il y a un réchauffement climatique,
d'environ 1°C depuis 150 ans.
- Question: Comment expliquer ce réchauffement?
- Hypothèse: Le réchauffement climatique est principalement causé
par l'augmentation de la concentration en gaz à effet de serre émis
par les activités humaines, en particulier le dont la concentration
a augmenté de 280 ppm à 405 ppm depuis 150 ans.
Dans le cas de la démarche expérimentale avec modélisation numérique,
quelques étapes supplémentaires sont nécessaires avant de réaliser
les expériences.
- Choix du modèle: Le modèle doit être basé sur des équations
physiques générales et non sur le constat ou sur l'hypothèse. Sinon,
le raisonnement se mord la queue! Ainsi, nulle part dans les équations
de SimClimat, il n'est écrit qu'une augmentation de la concentration
en de 125 ppm induit une augmentation de 1°C de la température
globale. Les équations “disent” juste que le agit sur
l'effet de serre, et que l'effet de serre agit sur le bilan radiatif
de la planète et donc sur la température globale, avec plein de rétroactions
possibles qui peuvent modifier les résultats (figure 10).
- Expérience témoin: Il s'agit de vérifier le réalisme du modèle
par rapport à des observations. Ici, on réalise une simulation partant
de l'époque préindustrielle, de durée 250 ans, avec des émissions
anthropiques de 2.5 GtC/an qui permettent de faire passer la concentration
en à la concentration actuelle.
- Validation du modèle: On vérifie qu'à la fin de la simulation,
la température a augmenté de 1°C, ce qui est cohérent avec les observations
(figure 11, rouge). Notons qu'avec SimClimat,
on ne peut pas facilement faire évoluer les émissions anthropiques
de avec le temps selon un scénario réaliste. Dans ces simulations,
seuls le début et la fin de la simulation sont analysés.
Puis la démarche expérimentale se poursuit de manière classique avec
expérience, résultat et conclusion.
- Expérience: On réalise une simulation identique à celle de
contrôle, à part que la concentration en reste constante.
- Résultat: On constate que si la concentration en
reste constante, la température globale n'augmente pas (figure 11,
bleu).
- Conclusion: On conclut que le réchauffement climatique observé
est bien causé par l'augmentation de la concentration en .
Figure:
Copie d'écran des résultats d'une simulation pré-industrielle avec
concentration en constante (bleu) et avec des émissions
anthropiques qui permettent de faire passer la concentration en
à la concentration actuelle (rouge). La simulation verte est identique
à la rouge, sauf que la rétro-action de la vapeur d'eau a été débranchée>@
en maintenant constante la concentration en vapeur d'eau. Notons que
pour la concentration en , la courbe verte se trouve cachée
par la courbe rouge.
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On a vu dans la section précédente que le réchauffement climatique
était causé principalement par l'augmentation de la concentration
en . Le agit-il de manière directe sur l'effet
de serre? Ou existe-t-il des rétroactions amplificatrices? Nous montrons
ici comment mettre en œuvre la démarche expérimentale avec SimClimat
pour quantifier le rôle de la rétroaction de la vapeur d'eau.
- Constat: Le gaz qui contribue le plus à l'effet de serre naturel
est la vapeur d'eau.
- Question: Est-ce que la vapeur d'eau joue un rôle dans le réchauffement
climatique?
- Hypothèse: Quand la température augmente, l'humidité contenue
dans l'atmosphère augmente également (d'après la relation de Clausius-Clapeyron,
[Spiga, 2016]). L'amplification de l'effet de serre
lié à la vapeur d'eau accroît à son tour la température.
- Choix du modèle: SimClimat, dont la représentation de la vapeur
d'eau est basée sur des équations physiques.
- Expérience témoin: On réalise une simulation de 250 ans partant
du monde pré-industriel à aujourd'hui, avec des émissions anthropiques
de 2.5 GtC/an qui permettent de faire passer la concentration en
à la concentration actuelle (figure 11,
rouge).
- Validation du modèle: On vérifie qu'à la fin de la simulation,
la température a augmenté de 1°C, ce qui est cohérent avec les observations.
- Expérience: On réalise une simulation identique à celle de
contrôle, à part qu'on “débranche” la rétroaction de la vapeur
d'eau, en maintenant la concentration en vapeur d'eau constante.
- Résultat: Si la concentration en reste constante,
la température globale augmente moins: de 0.6°C au lieu de 1°C (figure
11, vert).
- Conclusion: On conclut que la vapeur d'eau est impliquée dans
une rétroaction positive qui contribue pour 40% au réchauffement
climatique.
De la même façon, le rôle d'autres rétroactions peut être mis en évidence
par SimClimat. Par exemple, en débranchant la rétroaction de l'albédo
de surface, on voit que cette rétroaction est positive aussi mais
reste assez faible aux échelles de temps courtes. Enfin, en débranchant
le rôle de l'océan ou de la végétation dans le cycle du carbone, on
voit que l'augmentation de la température est plus forte. La concentration
en augmente aussi plus vite. Cela montre que l'océan et
la végétation épongent en partie (environ pour moitié) les émissions
humaines de .
Les variations glaciaires-interglaciaires se manifestent par de fortes
variations de température, d'étendue des calottes glaciaires et de
niveau de la mer qu'on retrouve dans diverses archives paléoclimatiques
([Masson-Delmotte and Chapellaz, 2002,Masson-Delmotte et al., 2015], figure
12). Ainsi, il y a 21 000 ans, le Terre vivait le
dernier maximum glaciaire. La température globale était 5°C plus basse,
une calotte polaire recouvraient toute l'Europe du Nord, et le niveau
de la mer était 130 m plus bas. Depuis 10 000 ans, nous sommes en
période interglaciaire. Il y a une période interglaciaire tous les
100 000 ans (figure 12).
Figure:
Variations de température et de concentration en enregistrées
dans les glaces à Vostok en Antarctique.
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Nous proposons ici trois étapes de mise en œuvre de la démarche scientifique
pour comprendre les variations glaciaires-interglaciaires.
Étape 1: mise en évidence du rôle des paramètres orbitaux
- Constat: Les échelles de temps des variations de température
au cours des variations glaciaires-interglaciaires sont du même ordre
de grandeur que celles des paramètres orbitaux: obliquité (environ
40 000 ans), précession (environ 20 000 ans), excentricité (environ
400 000 ans).
- Question: Est-ce que les variations des paramètres orbitaux
peuvent conduire à des variations de température cohérente avec celles
observées lors des cycles glaciaire-interglaciaires (i.e. 5°C)?
- Hypothèse: Oui. Prenons par exemple l'obliquité.
- Choix du modèle: SimClimat, où l'effet des paramètres orbitaux
est décrit par des équations physiques.
- Expérience témoin: On réalise une simulation de 100 000 ans
partant du monde pré-industriel, tous les paramètres étant laissés
à leur valeurs par défaut. Une simulation suffisamment longue est
nécessaire pour que les calottes de glace aient le temps de s'équilibrer
(figure 13, rouge).
- Validation du modèle: La température reste bien constante à
une valeur cohérente avec la température globale observée.
- Expérience: On réalise une simulation identique à celle de
contrôle, mais en mettant l'obliquité à sa valeur minimale (figure
13, bleu).
- Résultat: La température diminue de plusieurs °C. On observe
aussi une forte augmentation de l'extension des calottes, et une diminution
du niveau de la mer du même ordre de grandeur que lors d'une période
glaciaire.
- Conclusion: On conclut que les variations d'obliquité peuvent
induire des variations de température cohérente avec celles observées
lors des cycles glaciaire-interglaciaires.
La même approche peut s'appliquer aux autres paramètres orbitaux.
Figure:
Copie d'écran des résultats d'une simulation pré-industrielle de contrôle
de 100 000 ans (rouge), avec une obliquité minimale (bleu), avec obliquité
minimale et albédo constant (vert) et avec obliquité minimale et solubilité
du dans l'océan ne dépendant pas de la température (jaune).
Notons que dans les panels où les courbes verte et jaune sont invisibles,
elles sont en fait cachées par la courbe rouge.
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Étape 2: Mise en évidence du rôle de l'insolation dans les
régions polaires en été
- Constat: Quand on modifie les paramètres orbitaux, on ne modifie
pas l'énergie solaire reçue en moyenne sur la Terre sur une année.
Les paramètres orbitaux ne font que modifier la distribution de l'énergie
reçue en fonction de la latitude et de la saison.
- Question: Comment alors expliquer que les paramètres orbitaux
peuvent modifier la température globale?
- Hypothèse: En agissant sur l'énergie reçue dans les régions
polaires en été, les paramètres orbitaux agissent sur la fonte des
calottes polaires. Or l'étendue des calottes polaires influence l'albédo
de la planète et donc sa température.
- Choix du modèle: SimClimat.
- Expérience témoin: L'expérience précédente de 100 000 ans
avec l'obliquité minimale (figure 13, bleu).
- Validation du modèle: La température diminue bien comme si
on entrait dans une nouvelle ère glaciaire.
- Expérience: On réalise une simulation identique à celle de
contrôle, mais en “débranchant” la rétroaction de l'albédo, c'est-à-dire
en fixant l'albédo constant (figure 13,
vert).
- Résultat: La température reste constante.
- Conclusion: On conclut que c'est bien la modification de l'albédo
qui induit la modification de la température quand l'obliquité diminue.
Quand l'obliquité diminue, les rayons du soleil arrivent de manière
plus inclinée dans les régions polaires de l'Hémisphère Nord en été.
Ça défavorise la fonte de la calotte polaire de l'Hémisphère Nord,
et donc favorise son extension. Ça augmente l'albédo de la planète
et donc diminue la température.
Le même mécanisme s'applique aux autres paramètres orbitaux.
- L'obliquité est le paramètre le plus facile à comprendre (ci-dessus).
- La précession agit sur la saison pour laquelle la Terre est la plus
proche du soleil. Actuellement, la Terre est la plus proche du soleil
en hiver de l'Hémisphère Nord. Si au contraire la Terre est plus proche
du soleil en été de l'Hémisphère Nord, la calotte de l'Hémisphère
Nord reçoit plus d'énergie en été ce qui favorise sa fonte.
- L'excentricité est le paramètre le plus complexe car son effet dépend
de la précession. Pour la précession actuelle où la Terre est la plus
loin du soleil en été de l'Hémisphère Nord, si l'orbite devient plus
excentrique, la Terre sera encore plus loin du soleil en été. La calotte
de l'Hémisphère Nord recevra alors moins d'énergie en été ce qui favorise
son extension.
Notons que ce qui est important ici est l'énergie reçue par la calotte
de l'Hémisphère Nord et non celle de l'Hémisphère Sud. En effet, la
calotte de l'Hémisphère Nord a toute la liberté pour s'étendre sur
l'Europe, la Sibérie et l'Amérique du Nord. Au contraire, la calotte
de l'Hémisphère Sud est limitée au continent Antarctique et ne peut
pas s'étendre sur l'océan Austral.
Étape 3: pourquoi la concentration en diminue-t-elle
en période glaciaire?
Les bulles d'air emprisonnées dans les glaces indiquent que les variations
de la concentration en varient de concert avec la température
lors des variations glaciaires-interglaciaires (figure 12).
Comment expliquer cela?
- Constat: Quand la température diminue, la concentration en
diminue. Au dernier maximum glaciaire, la concentration
en était 100 ppm plus faible pour une température globale
5°C plus faible.
- Question: Comment expliquer cette diminution de la concentration
en ?
- Hypothèse: Quand les océans sont plus froids, le
s'y solubilise plus facilement.
- Choix du modèle: SimClimat.
- Expérience témoin: L'expérience précédente de 100 000 ans
avec l'obliquité minimale (figure 13, bleu).
- Validation du modèle: La concentration en simulée
par SimClimat diminue de concert avec la température, jusqu'à des
valeurs du même ordre de grandeur que celles observées au dernier
maximum glaciaire.
- Expérience: On réalise une simulation identique à celle de
contrôle, mais en maintenant la solubilité du constante
quelque soit la température (figure 13,
jaune).
- Résultat: On constate que la concentration en reste
constante. De plus, la diminution de la température se trouve réduite.
- Conclusion: Plus les océans sont froids, plus la solubilité
du est forte. Une partie du atmosphérique passe
donc sous forme dissoute dans l'océan. Donc la concentration atmosphérique
en diminue. Comme le est un gaz à effet de serre,
la diminution de la concentration atmosphérique en amplifie
le refroidissement: c'est une rétroaction positive.